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15 septembre 2010 3 15 /09 /septembre /2010 15:12

L'été s'achève. De loin en loin, l'on se souvient de la torpeur d'un après midi d'août, d'heures immobiles dans le soleil brûlant, de parasols multicolores, tapissant les plages désormais livrées au seul vol de quelques oiseaux de mer et d'encore rares pêcheurs à pied.


Alors, l'on reprend la route, reposé et gorgé de lumière, vers la sobriété des gris d'automne et la froidure des nuits qui allongent. Pourquoi le long périple qui va mener, nuit après jour, à travers les mois sombres jusqu'au prochain équinoxe m'évoque-t-il donc ce poème d'Apollinaire ?


Peut-être, en ces temps troublés, ai-je le sentiment diffus que nous sommes tous un peu des saltimbanques du temps qui passe ? Peut-être, à l'approche de l'automne, propice aux lentes méditations, la nostalgie des Bohémiens, que nous n'aurions jamais dû cesser d'être, s'éveille-t-elle tranquillement ?

 

 

 

Saltimbanques


Dans la plaine les baladins

S'éloignent au long des jardins

Devant l'huis des auberges grises

Par les villages sans églises

 

Et les enfants s'en vont devant

Les autres suivent en rêvant

Chaque arbre fruitier se résigne

Quand de très loin ils lui font signe.

 

Ils ont des poids ronds ou carrés

Des tambours des cerceaux dorés

L'ours et le singe animaux sages

Quêtent des sous sur leur passage

 

Guillaume Appolinaire ("Alcools", 1913)


 

 

Tortueux parcours, il est vrai, que celui de Giuglielmo Alberto Wladimiro Alessandro Apollinare de Kostrowitzky, que ses amis de jeunesse aimaient à interpeler du doux diminutif aux accents de l'Oural de "Kostro". Cependant, c'est à Rome qu'était né,  le 25 août 1880, Guillaume Apollinaire (pseudonyme adopté définitivement en 1899 après celui de Guillaume... Macabre !), naturalisé français en mars 1916.

 

Et c'est en fait de Pologne qu'était originaire sa mère Angelica, qui lui préférait, elle, le prénom de Wilhelm. Errance de l'identité, alliée aux périgrinations chaotiques d'un Bohémien malgré lui  ? (Rome, Bologne, Monaco,  Cannes, Nice,  Aix les Bains, Lyon, Paris,  Spa, Stavelot, Paris,  la Rhénanie, Cologne, Hanovre, Dresde, Munich, Le Vésinet, Montmartre, Auteuil)


Nommer pour exister et pour faire exister ? Jusqu'à quel point la justesse des mots importait-elle vraiment à celui qui avait porté tant de noms et voyagé entre tant de langues ? Pourquoi Appolinaire préféra-t-il finalement pour ce recueil de poèmes, écrits entre 1898 et 1912, le titre d'"Alcools" à celui qu'il avait initialement choisi, pourtant plus propice à la liberté du sens de "Eau de vie" ? Mystère des mots qui voyagent...


C'était bien pourtant à notre propre liberté d'errer qu'il faisait appel, lorsque, procédant à la correction des épreuves pour la première parution du recueil aux Editions Mercure de France, il fut un précurseur (après Mallarmé), en supprimant toute ponctuation, de manière systématique, affirmant, non sans raison : "le rythme même et la coupe des vers voilà la véritable ponctuation". En s'affranchissant d'un code si profondément  ancré dans la tradition des mots, il contribuait à entrebailler au tourbillon du vingtième siècle débutant une fenêtre de liberté créatrice, dans laquelle s'engouffreraient bientôt les expérimentations artistiques les plus révolutionnaires.


Pendant ce temps, Pablo Picasso, installé au Bateau-Lavoir, se consacrait à toute une série de tableaux sur l'univers du cirque, durant cette période dite rose, à l'époque où il  fit justement connaissance avec Apollinaire. Cette série de tableaux donna lieu à l'exposition  aux Galeries Serrurier en 1905, exposition qu'Apollinaire commenta abondamment.

 

 

saltimbanques---picasso.jpg

Pablo Picasso "famille de saltimbanques" (1905, huile sur toile),

source de la photo : National Gallery of Art, Washington link

 

Une partie du commentaire posté sur le site de la NGA, quoique finalement très convenu, trouve bien entendu un écho particulier pour nous en cette fin d'été 2010 : 

"Circus performers were regarded as social outsiders, poor but independent. As such, they provided a telling symbol for the alienation of avant-garde artists such as Picasso."


Néanmoins, l'austérité apparente du poème d'Apollinaire comme celle du tableau de Picasso ne doivent pas nous faire oublier que les saltimbanques sont avant tout ceux qui nous apportent le sourire et le rêve si nécessaires pour égayer la grisaille et éclairer l'obscurité de nos hivers ; C'est ce que rappelle agréablement cette interprétation par Yves Montand,  des "saltimbanques" de Giuglielmo Apollinare, diffusée en 1956 sur la première chaîne de la télévision... italienne (comme en guise de retour aux sources ?), Montand y faisant preuve, en artiste complet, de l'élégance, de la prestance et de la malice qui ont fait son talent et succès.

 

 

Yves Montand : les baladins; 1956 (émission de télévision de la RAI 1)

 

Le printemps reviendra bientôt, avant même les hirondelles, chaque fois que l'on entendra au loin des baladins qui reviennent de la plaine.

 

 

Faites de bruyants rêves de Bohème colorée et joyeuse !

 

Edit : 16 septembre 2010

Post-Scriptum : alors que depuis plusieurs heures déjà, j'avais posé le dernier point à la fin de cet article et que je reprenais sans hâte mes vagabondages à travers vie à travers champs, à travers liens et doubles-clics, je suis tombée en arrêt devant cet édito des Inrocks  : je ne peux que souscrire pleinement à la conclusion de cet article sensible :

 "Evidemment, parler des Roms pour leur musique est peut-être aujourd’hui un peu trop naïf, maladroit ou confus. Ça ne pèse pas lourd face à la honte, face aux bidonvilles, face à la persécution. Mais quand même : le jour où les musiciens roms seront partis, les métros parisiens dérailleront de tristesse."

 (pour lire en entier l'article "pas touche aux manouches", c'est par ici : link )

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15 juillet 2010 4 15 /07 /juillet /2010 09:08

Alors que depuis plusieurs jours déjà, pourtant, j'ai quitté, un peu à regret mais tranquillement, la terrasse de  quartiers d'été., pour aller savourer la fraîcheur crépusculaire du Jardin des Merveilles link, (que j'ai bien l'intention de partager avec vous d'ici peu), le plombier zingueur de Prévert, lui, continue à siffloter inlassablement sa mélodie entêtante, n'en finissant pas, à mon grand bonheur, de ne pas disparaître dans le brûlant soleil estival de Lightwood.

Sans doute les inimitables Frères Jacques, impeccablement gantés de blanc, coiffés de noir et vêtus de leurs moulants sous-pulls criards, l'encouragent-ils malicieusement, du haut de la bibliothèque, où sont soigneusement conservés les innombrables 33 tours de trois générations de collection familiale.

et-la-fete-continue-1---les-freres-jacques.jpg

 pochette "les frères Jacques chantent Prévert" (source de la photo : link)

 

Peut-être aussi faut-il simplement que je rende à Jacques ce qui appartient à Prévert et que je  n'oublie pas de reproduire ici le texte du poème en question...

 

Et la fête continue

 

Debout devant le zinc
Sur le coup de dix heures
Un grand plombier zingueur
Habillé en dimanche et pourtant c'est lundi
Chante pour lui tout seul
Chante que c'est jeudi
Qu'il n'ira pas en classe
Que la guerre est finie
Et le travail aussi
Que la vie est si belle
Et les filles si jolies
Et titubant devant le zinc
Mais guidé par son fil à plomb
Il s'arrête pile devant le patron
Trois paysans passeront et vous paieront
Puis disparaît dans le soleil
Sans régler les consommations
Disparaît dans le soleil tout en continuant sa chanson

 

Jacques Prévert, "Paroles", 1946

 

... et de rendre hommage à l'esthétique avant-gardiste et rebelle que Prévert incarne en fait bien davantage que la seule bonhommie enfantine à laquelle on le restreint souvent trop volontiers ?  

En effet, lorsque qu'en 1946, René Bertelé, qui venait de créer " Les Éditions du Point du Jour " (rachetées par les Editions Gallimard dès 1949),  publia pour la première fois "Paroles" après avoir réuni les 79 premiers textes (dès 1947, l'édition fut augmentée de 16 autres textes) , c'est Prévert lui-même qui réalisa la couverture du recueil à partir d'une photographie de Brassaï. Cela mérite bien d'être mentionné.


et-la-fete-continue-2---couverture-paroles-1946---brassai.png

couverture de "Paroles" (1946) source de la photo : link

 

La rançon de la gloire est à ce prix, les artistes le savent bien. Les créations les plus réussies prennent leur envol à la rencontre de la vie et, comme autant d'étoiles qui scintillent sur nos anxiétés, elles se transforment et s'épanouissent pour éclairer l'imaginaire des inconnus qui les recueillent avec passion.

Chacun de nous s'approprie Prévert au gré de sa propre mémoire, au fil de son propre univers et au détour de sa propre fantaisie... avec plus ou moins de bonheur, bien sûr.

 

Ainsi, Gabriel Lefebvre, qui illustra le recueil en 2002, aux éditions La Renaissance du Livre, dans la collection "Les Beaux Livres Littéraires".


et-la-fete-continue-3---gabriel-lefebvre.gif

Gabriel Lefebvre : "et la fête continue"

source de la photo : librairie l'Oiseau-lire (!...), Mons, Belgique link

 

Et, dans un style pour le moins très différent, David, le blogueur de "la mauvaise étoile" :

      et la fête continue 4 - David blog la mauvaise étoile BD

source de l'image : link    

 

Merci donc aux artistes, aux maîtres d'école et à tous ceux qui donnent encore aux enfants d'aujourd'hui à lire, à voir, à entendre et même à apprendre  la poésie de Prévert, continuant ainsi ses chansons afin qu'il ne disparaisse jamais vraiment, qu'il pleuve ou bien qu'il vente.

 

Faites de libres rêves de paroles enchantées

 


 

 

 

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25 avril 2010 7 25 /04 /avril /2010 22:25

Agréablement surprise du nombre important de promeneurs récemment rencontrés au détour des bosquets de Lightwood, j'ai rapidement réalisé que le   "sentier printanier" (Th. Gautier)  est  particulièrement fréquenté à cette époque de l'année. Nombreux parmi vous sont en effet ceux qui flânent à la recherche d'illustrations par Théophile Gautier lui-même de ce poème. Autant que je sache, il n'a pas illustré ce poème lui-même. Mais si vous disposez d'informations différentes, je vous serais infiniment reconnaissante de venir les partager ici avec nous...

S'il est vrai, par ailleurs, que Théophile Gautier, qui était aussi, ne l'oublions pas, journaliste et critique d'art, a commenté de nombreuses œuvres d'art à travers certains de ses poèmes (à ce sujet, je vous invite à consulter, entre autres, cette page du Musée d'Orsay : "Théophile Gautier, la critique en liberté" link), à ma connaissance, ce n'est pas le cas de «Sentier Printanier ». Le chemin qui vous a mené à moi est juste une création personnelle de circonstance.

 

Bienvenue, cependant... Le jardin est particulièrement agréable à cette époque de l'année et je vous invite cordialement à déguster un rafraîchissement à l'ombre du tilleul, près de la mare.

En revanche, il semble bien que ce poème ait été inspiré à Théophile Gautier par d'autres créations poétiques, plus anciennes, ainsi que cela apparaît dans l'édition de 1890 de Œuvres de Théophile Gautier – Poésies – Premières Poésies – Albertus, Poésies diverses-link vers la reproduction de la couverture du recueil sur wikisource. Si l'on en croit wikimedia, en effet,  (par ici link et par là link),Théophile Gauthier se réfère, pour ce poème titré simplement « sentier » -et non « sentier printanier »- , au Livre des Quatre Dames d'une part, et à Alfred de Musset d'autre part.

Voici donc reproduite la version intégrale du poème, tel qu'il a été publié dans cette édition de 1890 :


Le Sentier

En une sente me vins rendre
Longue et estroite, où l’herbe tendre
Croissait très drue.
Le Livre des quatre Dames.

Un petit sentier vert, je le pris-
ALFRED DE MUSSET.

Il est un sentier creux dans la vallée étroite,
Qui ne sait trop s’il marche à gauche ou bien à droite.
- C’est plaisir d’y passer, lorsque Mai sur ses bords,
Comme un jeune prodigue, égrène ses trésors;
L’aubépine fleurit; les frêles pâquerettes,
Pour fêter le printemps, ont mis leurs collerettes.
La pâle violette, en son réduit obscur,
Timide, essaie au jour son doux regard d’azur,
Et le gai bouton d’or, lumineuse parcelle,
Pique le gazon vert de sa jaune étincelle.
Le muguet, tout joyeux, agite ses grelots,
Et les sureaux sont blancs de bouquets frais éclos;
Les fossés ont des fleurs à remplir vingt corbeilles,
À rendre riche en miel tout un peuple d’abeilles.
Sous la haie embaumée un mince filet d’eau
Jase et fait frissonner le verdoyant rideau
Du cresson. - Ce sentier, tel qu’il est, moi je l’aime
Plus que tous les sentiers où se trouvent de même
Une source, une haie et des fleurs; car c’est lui,
Qui, lorsque au ciel laiteux la lune pâle a lui,
À la brèche du mur, rendez-vous solitaire
Où l’amour s’embellit des charmes du mystère,
Sous les grands châtaigniers aux bercements plaintifs,
Sans les tromper jamais, conduit mes pas furtifs.

 

Dans la poésie de mon enfance, telle que je l'ai partagée avec vous précédemment,  le cadre était charmant, champêtre,... printanier en somme... Je ne saurais dire si je dois la subtilisation de la dernière partie du poème à la syntaxe particulièrement complexe de celle-ci ou s'il faut davantage y voir la pruderie excessive d'un maître d'école, soucieux d'épargner à nos esprits encore chastes, la révélation trop précoce d'émois sulfureux ? Troublant, troublant...

 

Peut-être l'un et l'autre... Toujours est-il que cette dernière partie donne, pour l'adulte que je suis devenue, une saveur nouvelle, disons plus... prononcée, à cet enfantillage champêtre, qui m'enchantait pourtant.

Le Livre des Quatre Dames, auquel il est fait référence en exergue, est un  poème courtois de 3600 vers, écrit en 1416 par Alain Chartier, clerc, notaire, et secrétaire des rois Charles VI et Charles VII.  Ce long poème, octosyllabique, narre les malheurs de quatre dames qui se demandent lequel de leurs quatre destins est  le moins enviable : l’amant de l'une est mort, celui de la seconde est prisonnier, le troisième disparaît et le dernier a déserté... Prometteur, n'est-ce pas ?...

Quant au vers de Musset, il est extrait de la comédie en vers les marrons du feu. Voici la phrase complète dont ce vers est extrait.


« Un beau soir, je ne sais comment se fit l'affaire,
La lune se levait cette nuit-là si claire,
Le vent était si doux, l'air de Rome est si pur -
C'etait un petit bois qui côtoyait un mur,
Un petit sentier vert,-je le pris-, et Jean comme
Devant, je m'en allai l'éveiller dans son somme.»


printemps nocturne, donc...



Faites de verts rêves en vers de nature amoureuse...

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4 avril 2010 7 04 /04 /avril /2010 18:15

Sur le même thème, voir aussi :

  «sentier printanier» 2 – les références de Th. Gautier.

(article du 22 avril)


sentier printanier 5       

une poésie d'enfance s'impose

 à mes sens en repos

et se pose au hasard

sous une aubépine fleurie.


 

Sentier printanier

Il est un sentier creux dans la vallée étroite,
Qui ne sait trop s’il marche à gauche ou bien à droite.
C’est plaisir d’y passer, lorsque moi sur ses bords
Comme un jeune prodigue égrène ses trésors.
L’aubépine fleurit ; les frêles pâquerettes,
Pour fêter le printemps, ont mis leurs collerettes.
La pâle violette, en son réduit obscur,
Timide, essaie au jour son doux regard d’azur,
Et le gai bouton-d’or, lumineuse parcelle,
Pique le gazon vert de sa jaune étincelle.
Le muguet, tout joyeux, agite ses grelots.

Et les sureaux sont blancs de bouquets frais éclos
Les fossés ont des fleurs à remplir vingt corbeilles.
À rendre riche en miel tout un peuple d’abeilles.

Théophile GAUTIER – ” Poésies ”


 

Que l'on soit croyant, mystique ou athée, il y a quelque chose de magique dans ce dimanche de Pâques qui s'étend en langueur quand on sait de surcroît que demain, ce n'est pas tout à fait lundi...

 

Faites de frais rêves fleuris

au parfum de la brise.

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